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Dans le monde compétitif des jeux de cartes à collectionner, il existe des cartes qui ne se contentent pas de gagner des parties. Elles définissent des époques entières. Ces cartes emblématiques forcent les joueurs à repenser leurs stratégies, créent des légendes et deviennent des sujets de débats passionnés. Le One Piece Card Game a connu une telle icône, un Leader qui a incarné la philosophie de son personnage avec une efficacité terrifiante : Sakazuki. Son règne a été si absolu qu’il a poussé le jeu dans ses retranchements, illustrant parfaitement la grandeur et la décadence d’une carte qui a marqué l’histoire. Cet article plonge au cœur du phénomène Sakazuki, de sa conception inspirée du manga à son impact dévastateur sur les tables de jeu, pour comprendre comment une seule carte a pu devenir un tyran, un mythe, et finalement, une leçon.
Sakazuki : La Justice Absolue Incarnée en Carte
Pour comprendre la puissance du Leader Sakazuki, il faut d’abord se pencher sur l’homme qu’il représente dans l’œuvre de Eiichiro Oda. L’Amiral de Flotte Sakazuki, aussi connu sous le nom d’Akainu, est l’incarnation d’une doctrine de Justice Absolue. Détenteur du fruit du démon Magu Magu no Mi, il transforme son corps en magma, une force destructrice et sans compromis. Il est l’un des antagonistes les plus marquants de One Piece, responsable de la mort de Portgas D. Ace et ayant laissé des cicatrices profondes sur Luffy et Barbe Blanche. Cette efficacité brutale et cette volonté d’éradiquer le mal par tous les moyens ont été parfaitement retranscrites dans sa carte.
La première version de Sakazuki en tant que Leader, issue du Starter Deck ST-06 Absolute Justice, a posé les bases de la couleur Noire et de sa mécanique de réduction de coût. Cependant, cette carte était limitée par sa synergie stricte avec l’archétype Marine. C’est avec l’extension OP-05 Awakening of the New Era que la terreur a véritablement commencé. Le nouveau Leader Sakazuki bicolore Bleu/Noir est arrivé avec un effet d’une simplicité trompeuse mais d’une puissance colossale : [Une fois par tour] « Vous pouvez défausser 1 carte de votre main : Piochez 1 carte. »
Cette capacité, sans coût en ressource DON!!, est devenue le moteur d’une machine de guerre. Elle offrait une consistance inégalée, permettant aux joueurs de « cycler » leur main pour trouver la réponse parfaite à chaque situation. Une carte inutile? Défaussez-la pour en piocher une nouvelle. Plus important encore, cet effet transformait la défausse en une seconde main, une réserve de ressources prête à être exploitée par des cartes comme Rebecca ou le redoutable Gecko Moria. Là où son prédécesseur était bridé par son thème, cette nouvelle version offrait une puissance brute et universelle, libérée de toute contrainte.

Anatomie d’un Tyran : Comment le Deck Sakazuki a Conquis les Tournois
Le deck Sakazuki n’était pas simplement fort, il était une forteresse stratégique qui dictait les règles de chaque partie. Sa domination reposait sur une synergie parfaite entre plusieurs éléments qui, une fois combinés, créaient un archétype de contrôle presque parfait. Le plan de jeu était simple : survivre, épuiser l’adversaire en détruisant méthodiquement toutes ses menaces, et finalement l’emporter par un avantage de cartes écrasant.
La puissance du deck reposait sur trois piliers. Le premier était la consistance inégalée offerte par le Leader, qui garantissait de ne jamais avoir une mauvaise main. Le deuxième était la synergie explosive des couleurs Bleu et Noir. Le Noir excellait dans la réduction du coût des personnages adverses, les rendant vulnérables, tandis que le Bleu offrait des options de retrait uniques, comme renvoyer des cartes au fond du deck adverse, contournant ainsi les effets de K.O. et empêchant leur réutilisation. Enfin, le troisième pilier était un contrôle du plateau implacable, visant à ne laisser aucune menace adverse sur le terrain plus d’un tour.
Plusieurs combinaisons de cartes étaient au cœur de cette machine. Le combo Rebecca et Hina permettait, pour seulement 4 DON!!, de poser un bloqueur et un personnage capable de réduire le coût d’une menace adverse. Pour l’élimination, la paire Rob Lucci et l’événement Great Eruption était redoutable, permettant souvent de mettre K.O. deux personnages pour un coût minime. Défensivement, le duo Kuzan et Borsalino formait un mur quasi infranchissable, le premier réduisant passivement le coût de tous les personnages adverses et le second étant un bloqueur insensible aux effets de K.O. Avec l’arrivée de l’extension OP-06, le deck a reçu son arme ultime : Gecko Moria, un personnage capable de ramener deux cartes de la défausse, créant un avantage décisif et rendant le deck encore plus oppressant.
Pour visualiser la structure de cette machine de guerre, voici une liste de deck archétypale qui a dominé la compétition :
| Catégorie | Carte | Code | Quantité |
| Leader | Sakazuki | OP05-041 | 1 |
| Personnages | Brannew | OP02-106 | 4 |
| Tashigi | OP06-050 | 4 | |
| Rebecca | OP05-091 | 4 | |
| Rob Lucci | OP05-093 | 4 | |
| Hina | ST06-006 | 4 | |
| Borsalino | ST06-008 | 3 | |
| Kuzan | OP02-096 | 2 | |
| Borsalino | OP05-057 | 2 | |
| Sabo | OP04-083 | 2 | |
| Gecko Moria | OP06-086 | 4 | |
| Mansherry | OP05-093 | 2 | |
| Événements | Great Eruption | ST06-015 | 4 |
| Ice Age | ST06-017 | 2 | |
| Hound Blaze | OP05-051 | 4 |
Un Métagame sous Contrôle : La Domination en Chiffres et en Stratégie
Les chiffres ne mentent pas. Durant son apogée, le deck Sakazuki affichait des taux de victoire et d’utilisation bien plus élevés que n’importe quel autre deck. Les archives des tournois majeurs en témoignent de manière éclatante. Par exemple, lors du tournoi régional de Mülheim en juin 2024, les decks Sakazuki ont non seulement remporté la première place, mais ont aussi occupé 9 des 16 premières places du classement final. Cette hégémonie était visible à tous les niveaux de compétition, des tournois locaux aux plus grands championnats.
Cependant, même un tyran a ses faiblesses. L’analyse du métagame de l’époque a révélé que les pires adversaires de Sakazuki étaient les decks hyper-agressifs, principalement de couleur rouge. Des Leaders comme Zoro ou Barbe Blanche pouvaient exercer une pression si intense et si rapide qu’ils parvenaient parfois à submerger Sakazuki avant qu’il ne puisse mettre en place sa forteresse de contrôle. Le conseil stratégique clé pour les joueurs cherchant à le vaincre était donc de miser sur une agressivité maximale dès le début de la partie.
Pourtant, un effet pervers du métagame a paradoxalement renforcé la position de Sakazuki. Un autre deck de premier plan, Enel (Jaune), était extrêmement populaire et s’avérait être un contre redoutable pour les decks agressifs comme Zoro. Cette dynamique a créé un « triangle » où Sakazuki, bien qu’ayant des faiblesses, émergeait comme le choix le plus sûr et le plus polyvalent. Les joueurs qui choisissaient Zoro pour contrer Sakazuki se heurtaient souvent à un mur contre Enel. Ce contexte a rendu le règne de Sakazuki encore plus solide, non pas parce qu’il était invincible, mais parce que l’écosystème du jeu s’était déformé autour de lui.
Le Verdict Tombe : Le Bannissement et l’Héritage d’un Leader
Face à un métagame de plus en plus centralisé et à une communauté de plus en plus frustrée, Bandai, l’éditeur du jeu, a dû prendre une décision radicale. Le 17 mars 2025, le couperet est tombé : le Leader Sakazuki (OP05-041) a été officiellement banni, une décision qui a pris effet avec la sortie de l’extension OP-07. Les raisons invoquées par l’éditeur étaient claires et allaient bien au-delà des simples statistiques de victoire.
Bandai a reconnu que la carte offrait une fiabilité excessive et que la combinaison des couleurs Bleu et Noir était plus puissante que prévu, menant à des « batailles à sens unique ». Mais l’argument le plus important était que la carte nuisait considérablement au plaisir des aspects fondamentaux du jeu, à savoir les échanges d’attaques et de défenses et la diversité des Leaders. En d’autres termes, le deck était devenu anti-jeu. Pour enfoncer le clou, l’événement Great Eruption, une pièce maîtresse du moteur de contrôle, a également été banni, montrant que la cible était bien l’archétype dans son ensemble.
Ce bannissement était aussi une mesure préventive. Un deck aussi dominant risquait de contraindre le design des futures cartes, forçant les développeurs à créer des cartes toujours plus puissantes pour rivaliser, un phénomène connu sous le nom de « power creep » qui peut rapidement déséquilibrer un jeu. En retirant Sakazuki, Bandai a non seulement libéré le métagame présent, mais a aussi préservé l’avenir du design du jeu. L’impact a été immédiat : le métagame s’est instantanément diversifié, au grand soulagement de nombreux joueurs, même si ceux qui avaient investi du temps et de l’argent dans le deck ont exprimé leur déception.
Au-delà des Tournois : L’Expérience des Joueurs Occasionnels
L’influence de Sakazuki ne s’est pas limitée aux tournois. À toutes les tables de jeu, il a suscité des réactions passionnées et profondément divisées. Pour une grande partie de la communauté, affronter Sakazuki était une expérience frustrante. Le deck était souvent qualifié de « non-interactif » et « ennuyeux à affronter ». Les joueurs avaient l’impression que leurs actions étaient vaines, leurs personnages étant détruits aussitôt joués, les laissant spectateurs de leur propre défaite. Cette sensation d’impuissance a même poussé certains joueurs à abandonner le jeu temporairement.
Le débat le plus intense concernait le niveau de compétence requis pour piloter le deck. Ses défenseurs affirmaient qu’il s’agissait d’un deck « skill-intensive », où chaque décision, notamment quelle carte défausser avec l’effet du Leader, était cruciale et demandait une lecture fine du jeu de l’adversaire. À l’inverse, ses détracteurs le qualifiaient de deck « simpliste » (« braindead »), arguant que sa puissance brute et sa consistance offraient une marge d’erreur énorme, des « roulettes d’entraînement » qui pardonnaient les mauvaises décisions et permettaient de gagner sans faire preuve d’une grande maîtrise. La vérité se situe probablement entre les deux : le deck avait un plancher de compétence bas, permettant à des joueurs moyens d’obtenir de bons résultats, mais aussi un plafond de compétence très élevé, où les experts pouvaient en tirer des performances exceptionnelles.
Pour les joueurs débutants souhaitant explorer la couleur Noire, le Starter Deck ST-06 a été une porte d’entrée thématiquement cohérente et amusante. Cependant, il était mécaniquement bien inférieur aux autres options compétitives, et de nombreux joueurs ont suivi le conseil d’acheter deux exemplaires non pas pour son Leader, mais pour récupérer un jeu complet des cartes de soutien essentielles qu’il contenait, comme Hina et Great Eruption, avant que ce dernier ne soit banni. Cela illustre bien comment l’ombre du puissant Leader OP-05 planait même sur les produits destinés aux nouveaux venus.

